
Le mardi 22 avril dernier, le quotidien lyonnais « Le Progrès » se flattait d’avoir pu dresser une infographie nommée « Délinquance : à chacun sa spécialité ». Dans cet article censé répertorier les « principales nationalités impliquées » dans des actes de délinquance de la région du Rhône, les journalistes nous y apprennent des faits édifiants… de bêtise.
Un bagage culturel douteux
Il y est notamment dit que le « cambriolage » est une spécialité de l’Europe de l’Est (géorgiens, albanais, Roms) et de « gens du voyage » ; que le vol de ferraille vient typiquement des « Roms » ; que le « braquage » est toujours l’œuvre de « locaux » ; que la prostitution toucherait surtout les « Africaines » et les filles de l’Est ; et enfin que le « trafic de stupéfiants » intéresserait bien nos amis marocains.
Première surprise, « Le Progrès » nous explique via le titre de l’article que toute origine ou plutôt « nationalité » aurait une spécialité dans le domaine de la délinquance. Cette « spécialité » serait-elle génétique ? Serait-elle intrinsèque à l’origine elle-même ? La spécialité française, grande absente du classement, serait-elle comparativement l’honnêteté ?
Deuxième surprise et non pas des moindres, nous découvrons dans cette infographie qu’il existerait une nationalité « africaine », « rom », ou « gens du voyage ». L’algérienne, la somalienne, le Rom (qui peut venir de Roumanie, de Bulgarie, du Kosovo…) ou le forain bien français apprécieront l’amalgame et la largesse géographique en question.
Troisième choc, les « locaux » sont eux systématiquement associés aux « groupes de cité », eux-mêmes assimilés aux toxicomanes. Sont-ils ceux qui vivent sur le territoire français, ou sont-ils de nationalité française ? Nous ne saurons pas.
Incitation à la haine
Il existe bel et bien une charte de déontologie du journalisme, qui exige d’eux des faits appuyés de sources solides et des déclarations objectives. C’est pourquoi il est possible de parler d’incitation à la haine raciale, si l’on estime qu’un journaliste pousse, par son discours, d’autres individus à modifier leur comportement vers ce que l’on nomme communément du « racisme ».
Par ailleurs, les statistiques ethniques sont illégales en France contrairement à d’autres pays européens. Elles ont été clairement interdites en 2007 par le Conseil Constitutionnel, après que la subjectivité de l’ethnicité d’un individu et de sa mesure aient été mises en valeur. Comme il n’est pas explicitement fait référence à des statistiques dans l’article du quotidien, « Le Progrès » ne sera donc pas attaquable sous cet angle.
Interrogé, le journal explique avoir « interrogé les services de police, de gendarmerie et des douanes qui ont donné les grandes tendances basées sur leurs observations ».
Sur Twitter, le vice-président du Front national Florian Philippot affirmait : « Bravo au Progrès de faire son travail et de rappeler l’impact de l’immigration massive sur tous les types de délinquance ».
Preuve en est, ce genre d’article fallacieux sert l’extrême-droite et encourage la stigmatisation, dans une société française où les Roms sont déjà extrêmement maltraités, les mosquées profanées et les clivages exacerbés.
Le Nouvel Observateur a pu contacter l’un des rédacteurs en chef, qui a déploré la maladresse de l’infographie tout en défendant le travail de ses journalistes.