Dans notre précédent article nous avons traité de chiffres et de faits sociologiques qui composent l’analyse de fond du livre de Hakim El Karoui intitulé « l’islam, une religion française ».
Nous couvrirons dans cet article les recommandations de l’ouvrage et de l’auteur.
Pour commencer, nous nous réjouissons de lire des passages intéressants et novateurs sur l’avenir de la religion musulmane français. Essayer de rompre la tutelle des pays d’origine par exemple est primordial et cela aurait dû être fait il y a bien longtemps. Peut-être que le Président Macron, qui a paraît-il une oreille très attentive aux recommandations d’Hakim El Karoui, sera décisif dans cette tâche.
D’autres recommandations par compte doivent être débattues sereinement. Dans l’étude on lit ainsi : « Pour éviter de tomber dans le piège tendu par les extrémistes, le discours politique doit s’appuyer sur les exemples de réussite des Français de culture et de confession musulmane et sur la majorité silencieuse, insérée avec succès dans la société française. Il convient d’envoyer deux types de messages : l’un au grand public, à qui il faut rappeler encore et toujours que l’on peut être Français et musulman sans que cela ne pose le moindre problème, l’autre aux jeunes tentés par le fondamentalisme religieux, en réaffirmant qu’il n’y a pas de plafond de verre infranchissable ».
Parler d’exemples de réussites au grand public nous apparaît primordial pour dépassionner le débat sur l’islam en France. Les musulmans en ont assez d’être défigurés dans les médias grand public et présentés exclusivement comme un problème, souvent par des invités très peu représentatifs de la population musulmane en France. Votre position courageuse contre la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation de l’Islam de France est aussi à saluer.
Il convient toutefois de se poser les bonnes questions. Dans quel groupe M. El Karoui mettriez-vous par exemple ces cohortes d’ingénieurs, commerciaux, chercheurs ou médecins parfaitement insérés dans le monde professionnel et délivrant un travail de qualité, soucieux de faire preuve d’un bon comportement et d’excellence professionnelle en partie parce que leur religion les y encourage, et qui pratiquent assidument mais discrètement leurs prières quotidiennes dans leur bureau ou à la mosquée sans que cela ne pose le moindre problème à l’exercice de leurs fonctions ? Votre typologie est trop polarisante pour mettre en avant ces profils, de plus en plus nombreux, comme des exemples de réussite de musulmans à la française, y compris quand ces profils (et ils sont nombreux) s’exportent avec succès. Car ces profils ne souhaitent pas une assimilation compète que vous invoquez, et leur religiosité est très forte et structurante dans leur vie.
Dans quelle catégorie mettriez-vous par ailleurs ces centaines d’étudiantes voilées en médecine ou en grandes écoles qui souhaitent fermement s’engager dans un parcours de réussite professionnelle à la française et travaillent d’arrache-pied pendant toute leur scolarité pour cela mais que ne trouvent pas (ou trop peu) de débouchés après leur diplôme à cause de leur voile ? Elles sont aujourd’hui selon les vocables de votre étude dans deux catégories problématiques : les inactifs et les fondamentalistes. Et cela est évidemment un problème car elles sont une partie de la solution.
Dans quelle catégorie mettriez-vous ces modestes agents de la fonction publique ou ces ouvriers résignés et consciencieux dont la priorité est l’éducation de leurs enfants et leur réussite sociale mais qui restent attachés à leur religion et leur mosquée car elle est finalement leur seul lieu de sociabilité et leur marqueur d’identité local, comme le Bar PMU pour d’autres, ou l’amicale du quartier. Ils sont également régulièrement cités dans des catégories problématiques (les banlieues, les fondamentalistes, etc.), mais peut-être à tort car leur effort de parents stricts dans l’éducation de leurs enfants est l’un des meilleurs instruments pour sortir les jeunes du piège de la double marginalisation.
S’agissant de votre modèle de gouvernance, il a la vertu d’être ambitieux (une association musulmane pour un islam de France avec des membres cooptés par l’Etat, financées par des redevances sur le Halal, les zakats et le pèlerinage) mais il nous apparaît profondément irréaliste et problématique. De même que la nomination d’un « grand imam de France ». Nous en parlerons peut-être dans d’autres articles, mais invitons surtout nos lecteurs à proposer à leur tour des recommandations au chef de l’Etat pour établir un nouveau mode de gouvernance de l’Islam en France. Les meilleures contributions seront publiées.
S’agissant des autres recommandations enfin, comme l’apprentissage de l’arabe dans le système scolaire français (seulement 9000 étudiants aujourd’hui !), la professionnalisation des aumôniers musulmans, la création des carrés musulmans dans les cimetières, et le financement de plus d’études et publications sur l’Islam, oui cela nous apparaît primordial. Nous sommes surpris par contre que la question du développement des médias pour musulmans n’est que brièvement abordée…
Finalement cette étude et le livre de Hakim El Karoui sont une contribution parmi d’autres. Les conclusions de l’analyse sont classiques: il y a de la diversité, de la complexité, de l’argent et des trajectoires différentes parmi les musulmans en France. Les recommandations elles sont assez innovantes mais semblent vouloir encore une fois traiter des musulmans comme une catégorie à part de la population française, alors que finalement les chiffres montrent que peu ou prou ce sont des français comme les autres… mais avec quelque chose en plus.